La Bretillien Tony Debray, ici en Espagne, est enfin arrivé dans le Nord du Maroc en fin de semaine.
Le Bretillien Tony Debray, 29 ans, sociétaire du kayak club de Pont-Réan et membre du pôle France de Cesson-Sévigné, est devenu champion du monde de descente en canoë biplace, à La Seu d’Urgell, fin septembre. Dans la foulée, il a pris son vélo direction Agadir, au Maroc. Seul. Il était il y a quelques jours du côté de Tanger.
Comment s’est passée votre saison internationale ?
Je pense que c’est ma meilleure saison internationale depuis mes premiers championnats du monde senior (2011). Ma saison en canoë biplace a été parfaite. Mon coéquipier Louis Lapointe (Gérardmer) et moi avons frôlé l’excellence cette année avec un nos titres de champions d’Europe et de champions du monde sprint. Nous venons enfin accrocher la dernière médaille qui manquait à notre palmarès. Aujourd’hui, nous pouvons le dire : nous avons tout gagné. Sur le monoplace, je suis très satisfait également, je remporte le titre de champion de France, d’Europe et une petite déception sur ce mondial avec une 5e place. Je suis persuadé que ma préparation était optimale, mais une petite erreur de navigation lors du milieu de la course m’aura très certainement coûté le podium ou même la victoire.
Quel est ce projet de partir à vélo sitôt le Mondial terminé ? Quel est votre itinéraire ?
L’idée était de partir d’Andorre, tout près de La Seu d’Urgell, et de me rendre dans le Sud. J’ai choisi Agadir (Maroc) comme arrivée, parce que c’est la dernière ville avant le désert du Sahara et parce que, pour moi, le Maroc est un pays inconnu. J’ai la chance d’avoir pas mal voyagé les années passées mais l’Afrique, si vaste soit elle, est encore pour moi un grand point d’interrogation. Pourquoi ne pas commencer par là. En support, j’ai choisi le vélo. Et pas n’importe lequel, « Kévin » (il prénomme son vélo ainsi). Je me dis toujours que 6 km/h c’est trop lent (à pieds) et que 100 km/h c’est trop rapide (en voiture). Donc, 30 km/h c’est le bon compromis. J’ai le temps de discuter avec « Kévin », de m’arrêter, de respirer.
Dès le lendemain de votre titre mondial… Pourquoi ?
Pour moi l’objectif numéro un de 2019 était ce championnat du monde. L’objectif numéro deux était ce voyage. Pourquoi ne pas conjuguer les deux ? J’ai donc profité d’être en Espagne, collé à l’Andorre, pour me lancer dans cette aventure. La finale du canoë biplace était le samedi à 19 h 40. Le lendemain, à 11 h, j’étais sur ma monture en direction du Maroc. Pour moi, c’est primordial de couper ce genre de saison interminable. Le mental a un rôle fondamental dans la performance. J’ai visualisé cette manche de sprint des milliers de fois avant de la courir. Ces derniers mois, tous mes actes étaient tournés pour cette minute de sprint. Autant physiquement que mentalement, j’ai laissé beaucoup d’énergie là-dedans. Paradoxalement, ce voyage est un moyen pour moi de récupérer. Étant incapable de rester à la maison, cela m’a semblé une bonne option. Une superbe option même.
Vous aviez besoin de partir.
L’aspect physique est à prendre en compte. La solitude est également un facteur important. Le défi est aussi intéressant que le voyage selon moi. C’est ce qui, pour moi, différencie le sportif du compétiteur. Je me visualise plus sur la deuxième option.
Il y a aussi une dimension éco-responsable dans votre voyage ?
À l’aube de mes 30 ans ma sensibilité envers la nature est à son paroxysme. Tout ce qui se passe autour de nous est un désastre. Et j’en fais tristement partie aussi. Selon moi, c’est une question de curseur. Chacun met son curseur au niveau où il le souhaite. Ça commence par ton voisin qui fait le tri sélectif, ton cousin qui fait son compost et sa lessive et qui fait partie de Greenpeace. Aujourd’hui, j’aimerais monter mon curseur écologique de mon côté aussi. L’un des seuls pouvoirs dont je dispose pour profiter de la vie en tentant d’avoir le moins d’impact possible sur notre planète, c’est un voyage à la découverte d’une faune et d’une flore à l’aide de mes petites gambettes. Chacun place son curseur où il le souhaite mais on peut tous faire mieux. Je pense que le vrai combat de notre époque est un combat commun et que, pour la première fois de l’histoire, il faudra que l’on arrive à tous conclure un accord commun pour l’humanité si nous voulons que nos enfants puissent faire des cabanes dans les arbres un jour. J’ai cette chance de pouvoir montrer que ce type de voyage est possible. Donc laisse ta voiture là où elle est, et va pédaler le nez au vent. Tu verras c’est bien.
Il y a deux ans, vous étiez déjà parti le lendemain du Mondial, de Toulouse à Athènes, à vélo. Comment s’était passé ce premier voyage ?
Pour Athènes, j’avais besoin de challenge. J’ai donc fait les choses simplement : j’ai ouvert une carte d’Europe et j’ai regardé la ville la plus au Sud. Athènes. Ensuite différentes questions concernant l’itinéraire se sont posées. J’ai rencontré une personne avant le départ qui a fait la descente de l’Italie pour ensuite prendre un ferry pour rejoindre la Grèce. Cette idée ne m’enchantait guère. J’aime découvrir du pays et, en prenant l’option de la descente de la mer Adriatique, j’avais la chance de traverser neuf pays différents. Et c’est donc après 40 jours et 3 562 km que j’ai rejoint l’Acropole depuis Toulouse. Un voyage inoubliable pour moi.
Pas de grasses matinées, donc.
J’ai mis beaucoup de temps à prendre mes marques au début de ce périple vers le Maroc. La discipline est une chose à laquelle il faut s’astreindre si on veut rester un minimum performant. Donc on oublie les grasses matinées, oui, et les nuits arrosées.
Rencontrez-vous des difficultés ?
L’aspect mental a une grande place dans ce genre d’expédition. Il est d’ailleurs sûrement plus important que l’aspect physique. J’ai constaté ça lors de la dernière semaine en Grèce où mon corps subissait l’accélération des derniers jours pour être à l’heure pour le départ de l’avion retour car je rentrais en avion et j’avais réservé un billet. Si la tête va, le corps suit. Mais il ne faut pas oublier que je me suis élancé le lendemain de la finale du Mondial… Et il y a fallu fêter ça comme il se doit, grâce ou à cause de cette victoire. C’est donc épuisé que j’ai rejoint Barcelone quelque 250 km plus au sud, vraiment dans la douleur. J’ai fait une pause de trois jours à Valence où j’ai rechargé mes batteries. Physiques et mentales. J’accélère désormais, malgré mon vélo de 60 kg.
Vos objectifs sont-ils en passe d’être atteints ?
J’ai la grande chance d’avoir 30 ans le 13 novembre prochain. D’après mes calculs, et si on suppose que cela tienne pour les 1 000 prochains kilomètres, je pourrai être en présence de mes proches pour passer ce cap ! Et déjà penser à la saison 2020 qui se déroulera aux États-Unis, avec pourquoi pas un nouveau challenge, une traversée Atlantique – Pacifique par exemple. Un New York – San Francisco, sorte de fantasme dans mon esprit. Relier ces deux océans reste une lointaine idée. Mais qui sait, peut-être qu’un jour je déclencherai mon compteur depuis Time Square.
Jeudi dernier, il était du côté de Tanger
\ »Voilà 48 heures que j’ai posé le pied sur le continent africain. Et directement la première galère. J’ai en effet débarqué à Tanger Med au lieu de Tanger tout court. Comment j’aurais pu savoir ça moi ? Ce port où les camions relient Gibraltar est l’un des points d’entrée pour les migrants. J’ai donc assisté tristement à des dizaines de personnes courant derrière les remorques pour tenter leur chance sur le vieux continent. Tanger « med » se situe à un peu plus de 50 km à l’Ouest de la vraie ville de Tanger. J’ai donc commencé mon échauffement marocain par 900 m de dénivelé et beaucoup de vent, jusqu’à atteindre la ville.
Tanger est une de ces villes où il fait bon vivre. La plage, le shopping et sa vielle ville donnent du charme à l’ensemble. Même s’il m’aura quasiment été impossible de circuler dans cette fourmilière géante. Même problème pour quitter le bourg. La circulation est comme je m’y attendais. Chaotique. Ici la route, faut se la faire ! Parlons de l’état de ces routes justement. Pour le moment, c’est du trial. Et la pluie de la nuit dernière n’a rien arrangé. Mais qu’importe je roule.
J’ai enfin rejoins l’Atlantique aujourd’hui. Un moment que j’attends ça ! J’ai suivi la côte face aux vents qui se déchaînent depuis plusieurs jours maintenant. C’est donc allongé sur ma bicyclette que mon itinéraire m’a fait grimper dans l’arrière pays. Demain (vendredi), je rejoindrai la côte où j’espère retrouver un peu de civilisation pour recharger mes vivres. Et pourquoi pas Rabat à 120 km pour, pourquoi pas une nuit au chaud afin d’éviter la pluie qui tombe de nouveau sur ma tente ce soir.\ »
Il s\’agit d\’un article paru le dimanche 27 octobre 2019 dans Ouest-France. Voir l\’article sur le site ouest-france.fr.